DVD A LA LOUPE

Résumé : En 1861, la guerre civile éclate aux Etats-Unis. Deux amis d'enfance Jake Roedel et Jack Bull Chiles rejoignent les Bushwhackers, soldats attachés à la cause du sud. Les deux jeunes apprennent rapidement à devenir des hommes d'armes chevronnés. En 1862, alors qu'un rude hiver les menace, les Bushwhackers doivent se disperser et trouver un refuge...

Avis : Qui d’autre qu’un réalisateur étranger pouvait réaliser « chevauchée avec le diable », un western complètement atypique ne trouvant sa place dans aucun genre précis et démontant pièce par pièce la réunification éthique des deux Amériques alors en proie à une guerre fratricide des plus abjectes ??? Juste un an avant le succès mondial de « Tigre et dragon » (sauf en Asie), ce film a été un échec total en salles et ce dans bien des pays malgré des qualités techniques et scénaristiques bien peu communes. Nous allons essayer de comprendre pourquoi.

Comme je viens de le dire, la mise en scène est vraiment de bon aloi. Enchaînant des plans magnifiques avec des cadrages incroyables, elle fait bonne figure d’autant que le jeu des acteurs est vraiment bon. Tous jeunes premiers à l’époque du tournage, ils peuvent expliquer, par leur manque de notoriété une partie de l’échec du film : Tobey-Spiderman-Maguire était alors inconnu et sa tête de premier de la classe n’inspirait peut être pas tant que ça. Skeet Ulrich n’était alors connu que pour son rôle de tueur dans « Scream » et son apparition en homosexuel prostitué dans « Pour le pire et pour le meilleur » (‘Brad Pitt, t’as pas d’bite’) n’était pas connu du grand public. De même pour l’héroïne qui n’a jamais eu, à ma connaissance de connivences avec les tabloïds ne serait-ce qu’Américains. Et pourtant, tous, par la justesses de leur jeu, apportent une fraîcheur et une profondeur à leurs personnages torturés et malmenés….et il est rare de voir des psychologies aussi fouillées dans ce type de production : chacun a le droit à sa part d’explications, d’ombres et de lumières et même si certains partent tôt dans le film, on peut quand même parler d’œuvre chorale. Il s’agit du destin de quatre jeunes gens, tous d’origines différentes, dans l’Amérique sécessionniste.

Pour plus de réalisme, le réalisateur a voulu nous montrer toutes les couches de la société que ces personnes sont amenées à rencontrer au cours de leur périple et ainsi de nous confronter à leurs actes, leur comportement face à la guerre et le racisme (thème largement débattu tout au long du film, un des 4 protagonistes étant un noir, esclave affranchi)) et leurs prises de position ouvertes sous entendues. Le côté ambigu et non manichéen du film a ainsi pu déstabiliser un public encore habitué jusque là à de grands élans patriotiques où le bien combat le mal comme dans son contemporain « The Patriot » avec Mel Gibson.
Car c’est bien là qu’est la force du scénario : c’est un refus de prendre parti envers qui que ce soit tout en traitan de façon intelligente des thèmes universels et graves : l'amour bien sûr mais aussi l'amitié, l'honneur et l'idéologie politique et ethique. Les héros sont des sudistes : un fils de bourgeois qui prend le maquis pour se battre contre l’Union (bon, ça c’est plutôt normal) mais son meilleur ami, d’origine allemande et fils de prolétaire en fait de même (Aïe, ça se corse) et tous deux rejoignent un franc tireur dont le meilleur ami est un ‘nègre’ qui se bat aussi contre les libérateurs de la cause noire. Ang Lee a voulu (brillamment) montrer que de chaque côté, il y a des bons et des méchants (enfin bon, des plus bons et des plus méchants…personne n’étant pur ici) et j’en veux pour preuve la libération par Jack Roedel d’un unioniste (de nos jours, on dirait un gentil) qui une fois libre s’empresse d’aller massacrer le père de son sauveur. Dommage quand même que le film subisse une baisse de rythme significative (je dirai qu’il a 1/4h de trop) à cause d’une sordide histoire de vengeance, de haine pure dirais-je même et qui dénote dans un si bel ensemble.
Cette volonté de impartialité de l’auteur fait de l’œuvre une des plus belles qu’on ait vu sur la guerre, renforcée par une très belle histoire d’amitié, un amour tumultueux et un autre forcé. Rien n’y est simple, tout y est dur et au final tellement réaliste, un peu à l’image de ses héros que Lee refuse de montrer dans leur beauté mais plutôt crasseux et perpétuellement sales à force de sa planquer et de se battre dans la boue.

Et c’est aussi de tout ça que vient le fait que le film n’appartienne pas à un genre précis : il brasse énormément de choses qui se mélangent et s’emboîtent pour donner quelque chose de parfait. C’est un film de guerre, ça c’est une chose de sure et qui traite une guerre quia peu été utilisée au cinéma. Même dans « le bon, la brute et le truand », les protagonistes ne font que traverser des batailles sans jamais se soucier du pourquoi de ces affrontements. Parler du chef d’œuvre de Sergio Leone me permet de rebondir sur le fait que « Chevauchée avec le diable » est aussi un western pur et dur. En témoigne tout d’abord l’époque mais aussi le lieu et la façon dont c’est tourné (formidable assaut de l’Union au début du film d’une maison où sont enfermés des sudistes….digne de « rio bravo ») mais c’est aussi un très grand drame avec une love story profonde et sensuelle mais aussi tragique qui débouchera par la force des choses sur un nouvel amour forcé par les responsabilité et le respect d’autrui. Enfin, ce film peut aussi faire figure de film historique dans le ses noble du terme car même s’il ne rassemble jamais les grands noms du conflit (et pour moi, c’est un point positif) avec nos héros (sauf à la toute fin), nous avons droit à un véritable cours sur le déroulement de cette guerre civile et ce vu par des simples mercenaires donc au plus proche de la réalité, ces personne ne cherchant finalement qu’à survivre aussi bien idéologiquement qu’humainement…autre point qui pouvait dérouter un public habitué à de vrais courageux et téméraires se battant pour la bonne cause (alors qu’ici, elle peut être facilement discutable).

Pour en revenir à la réalisation (décidément, je m’égare), Ang Lee ne nous aura pas épargné avec quelques scènes d’une violence très crue pouvant aussi largement choquer mais qui continue qui trouvent leur placez dans la volonté de justesse quant aux faits : que ce soit une amputation d’un bras à la scie et sans anesthésie ou une balle traversant la bouche d’un des personnages, vous aurez droit à beaucoup même si on ne verse pas non plus dans le gore trash et cradingue.
Enfin, je voudrais dire un mot sur la photographie, très belle, et qui n’est pas sans rappeler celle de « Tigre & Dragon », alors en gestation, avec des paysages de forêts magnifiques baignant dans une lumière qui irradie des feuillages verts tendres tirant presque vers le fluorescent. De même pour a partition musicale d’une extrême finesse, qui respecte les lieux et l’époque et sait aussi éviter le mélo sirupeux et violonisant lorsque l’occasion se présente. Un bon point de plus dans un ensemble déjà bien exemplaire.

En conclusion, je dirai qu’il s’agit là d’une œuvre majeure du cinéma américain, produit à une époque proche où Hollywood ne se servaient pas encore des réalisateurs étrangers pour faire des sous remakes de leurs propres films fabriqués dans leur pays natal mais pour mettre en image des histoires intelligentes et engagées. Si l’ensemble s’avère parfait dans ce qu’il veut raconter et dans son refus de sombrer dans le manichéisme habituel à ce genre de production, on regretta (il faut bien chipoter un peu) un quart d’heure de trop dû à une sordide et idiote histoire de vengeance qui fait baisser le rythme d’un film qu’on aurait pu appeler chef d’œuvre.

 
Chevauchée avec le diable - Edition belge