CRITIQUE DVD

Voici les deux premiers des six contes moraux d'Eric Rohmer (lesquels compteront ensuite au moins deux chefs-d'oeuvres, Ma Nuit chez Maud et Le Genou de Claire) tournés respectivement en 1962 et 1963.
Le premier, La Boulangère de Monceau, est un joyau d'une vingtaine de minutes qui contient en substance le canevas des cinq films à venir: le narrateur aime une femme, en croise une autre qui accapare son attention et retrouve enfin la première.
Comedie et drame se côtoient, l'une parce que l'on ne peut que s'amuser en premier lieu du langage parfaitement maîtrisé du narrateur qui confine à la préciosité voire au ridicule (le passage au marché de la rue de Lévis a du inspirer le Jean Rochefort d'Un Eléphant ça trompe énormément), mais aussi des tiraillements amoureux et contorsions intellectuelles de celui-ci pour légitimer ses actions (qui d'ailleurs n'aboutissent jamais); drame car la fin de chacun de ces Contes est amère: c'est le retour au bercail, le mariage sonne le glas des jeux sentimentaux et peut-être même de ce que l'amour a de plus exaltant... La Morale est sauve, mais la morale du héros aura connu de drôles de détours avant de s'y conformer: on voit ainsi l'équivoque que renferment ces Contes "Moraux".
Ici le narrateur est Barbet Schroeder (futur réalisateur de More ou du Mystère Von Bulow, mais la voix est celle de Bertrand Tavernier...);il incarne un jeune étudiant en droit qui tombe amoureux d'une demoiselle croisée régulièrement dans la rue (la jolie Michèle Girardon que l'on aperçoit aussi dans le premier film de Rohmer, Le Signe du Lion). Celle-ci disparaît, et de dépit le héros décide alors de passer ses humeurs sur une jeune boulangère chez qui il allait s'approvisionner... Nous voyons alors naître un petit Don Juan pervers et malicieux de ce jeune futur juriste un peu pète-sec et emprunté, prenant un plaisir légèrement sadique à semer le trouble chez la pauvre boulangère avant de se faire démasquer et humilier par la première jeune fille.
Le deuxième film dure cinquante minutes et se présente comme une variation du thème qu'expose le premier. Il y a ici deux "héros", l'un introverti et pâlot, l'autre dragueur et butor; chacun joue au chat et à la souris avec une pauvre jeune fille un peu godiche mais la fin du film nous montre comment elle parvient à prendre le dessus... Encore une fois extraordinaire, et comme La Boulangère de Monceau (qui à mon avis lui est supérieur), d'une redoutable efficacité.
Ces deux films sont en outre une véritable leçon de cinéma: les spectateurs les plus blasés y verront comment on redonne une vie grouillante à l'Art crée par les frères Lumière -il est vrai grâce à un toucher unique de la part d'Eric Rohmer.

La note maximale! Bien sûr c'est du 16 millimètres en noir et blanc réalisé à l'arrache et sans un rond. L'image a 40 ans mais elle est bien conservée; il faut dire aussi que le réalisateur, à l'époque, eut la pudeur de tourner dans un style sec, classique et élégant malgré le degré zero de technologie. Pas de tic propre au cinéma fauché qui eût impayablement plus daté cette bande que son vieillissement naturel: tout ici est regardable, et même sublime!

Là aussi, ça date mais il s'agit d'une post-synchronisation; les bruits de l'ambiance et les dialogues sont parfaitement intelligibles même à bas volume -ce que ne permettent pas toujours les ronflements du Dolby, par exemple... Et puis à priori, vu le genre des deux films chroniqués, pas de quoi faire péter le home-ciné! Encore que...

Deux courts-métrages: un épisode des aventures de Charlotte et Veronique, vague série des années 50 sur laquelle Godard s'est aussi fait les mains -et que nous voyons d'ailleurs jouer ici un amoureux provocateur et pudique. Son zozotement et ses manières agaçantes rendent "Charlotte et son steak" irrésistible. L'autre film, "Nadja à Paris" nous fait suivre une étudiante montée à la capitale finir sa thèse sur Proust. Sa voix blanche, monocorde (son français hésite car elle est polonaise) esquisse un portrait de la Femme mystérieuse et impénétrable, d'une déroutante simplicité, que Rohmer continuera à travers La Collectionneuse.

La jaquette est faite de bric et de broc car il a fallu bricoler sur le pouce une affiche pour ces petits films. Le résultat est quelconque mais la présentation est propre. Le jaune de la tranche est la couleur que semble avoir choisie le réalisateur (de même que les petits textes de présentation) et c'est heureux car cela traduit bien le parfum d'ingénuité et de jeu que dispensent ces quatre oeuvres. La sérigraphie reprend cette couleur et reste discrète et élégante, à l'image du contenu.

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