Peut-être pas un chef-d'oeuvre, mais une grande comédie, filmée avec beaucoup de discrétion et d'élégance par Edouard Molinaro -un homme qui est beaucoup plus fin qu'on veut bien le reconnaître: comparons ce film avec l'autre rencontre "historique" Brel-Ventura à l'écran (il s'agit bien sûr de L'aventure c'est l'aventure) et l'on se rend compte à quel point la mise en scène de cette dernière est lourde et complaisante. Ces deux comédies-là ne jouent certes pas sur le même registre et donc leur parallèle est un peu fortuit, mais on y pense malgré soi.
Le scénario a lui aussi quelque chose d'historique dans la mesure où Francis Veber y introduit pour la première fois le duo mal assorti Pignon-Lucas, qui a aussi pu s'appeler Perrin-Campana au fil de nombreuses oeuvres qu'il inspira à son créateur, avec Pierre Richard en figure de proue. En vrac: On aura tout vu (Pignon tout seul) puis la fameuse trilogie Richard-Depardieu -jusqu'au Jaguar avec un tandem rajeuni.
Cette idée permet avant tout d'introduire de jolis numéros d'acteurs et oppose un Lino Ventura plus dur et rocailleux que jamais face à un Brel aussi malheureux et pitoyable que le type qui attend sa fiancée "pour aller manger des frites chez Eugène". L'un est tueur à gages, qui doit honorer une mission au fusil à lunette posté à la fenêtre d'un hôtel; son voisin est un pauvre gars qui rate son suicide en provoquant un dégât des eaux...Et Ventura, à son corps défendant, sauve Brel du désespoir. La musique même, signée Brel et Rauber, entremêle deux thèmes reconnaissables: celui de Ventura, sollennel, qui résonne comme le tonnerre, et celui de Brel, à l'accordéon, chancelant comme un imbécile heureux.
Il y a beaucoup de suspense dans ce film, même si l'on sait très bien comment ça va finir: Brel, exaspérant, le coeur plein d'amitié et de reconnaissance, est une sorte d'ange-gardien inconscient pour son nouvel ami; en retour il l'empêche d'accomplir son forfait.
Ventura, quasi-muet, amuse presque toujours par comique de situation: le tueur qui se heurte au ridicule du monde (bien souvent en la personne de Jean Lefebvre dans les fameux films de Lautner); Brel, lui, se taille la part du lion car il met en valeur les bons dialogues de Francis Veber.
Et quelques répliques sont hilarantes; il faut voir Brel s'expliquer à son sujet à Ventura: "...Parceque vous savez, là c'est un peu spécial, mais dans la vie, en général...je suis plutôt un marrant!..d'ailleurs quand les gens me voient rappliquer en soirée ils disent: Ah, tiens, v'là Pignon,ça va chauffer!" ou encore lui tenir un discours, mime à l'appui, sur le beau sexe: "Il faut bien reconnaître une chose: l'homme, il est comme ça:(mouvement droit et raide l'avant-bras)...tandis que la femme:(la main zigzague comme une anguille)...". Forcément, expliquer celà à un tueur à gages sicilien -pas bavard et impatient de surcroît- a quelque chose d'osé!
En un mot comme en cent, un modèle de film comique français, exempt de toute vulgarité et riche en rebondissements. La présence de Caroline Cellier et de Jean-Pierre Darras enlève le tout.
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