L’année 2006 aura été riche en promesses cinématographiques. Beaucoup, pour ne pas dire la plupart, n’auront pas été tenues. Et comme bien souvent la bonne surprise est venue de là où l’on ne s’attendait pas à la voir arriver...
Tel une balle perdue qui nous aurez fauchés tandis que moult grosses productions hollywoodiennes nous passaient au dessus de la tête, le film d’Alfonso Cuaron nous fait oublier durant 110 minutes toutes les déceptions passées tant son film synthétise à merveille les attentes de l’amoureux du 7ème art qui est en nous.
« Les Fils de l’Homme » fait partie de ces rares œuvres qui relèvent davantage de l’expérience que du simple film de divertissement, et cette étrange sensation qui perdurera une fois le générique de fin terminé ne sera là que pour vous le confirmer.
2027. L’humanité vieillit. L’Humanité se meurt. L’humanité est condamnée à disparaître. Les femmes n’enfantent plus, il y a près de 20 ans que plus aucun bébé n’est venu au monde. Les écoles sont devenues inutiles et ont été laissées à l’abandon, aux quatre coins de la planète il y a bien longtemps que l’on n’a plus entendu le rire d’un enfant. Devant l’inéluctable les continents se sont enflammés, seule l’Angleterre, bien que vacillante, tente de subsister à l’aide d’un régime dictatorial. A l’annonce du décès du plus jeune être humain de la Terre le désespoir se répand un peu plus. Tandis que la fin du monde tape à la porte et que grandit le chaos, le ventre d’une femme s’est arrondi. Une femme est tombée enceinte. Un enfant va naître. Le premier depuis plus de 18 ans.
A partir de ce synopsis Alfonso Cuaron va construire une œuvre absolument terrifiante ! Non seulement le sujet a de quoi fait frémir, mais en plus le réalisateur mexicain va faire preuve d’un évident savoir faire tant sa mise en scène se révèle remarquable, et celle-ci n’aura qu’un but, vous prendre et ne plus vous lâcher. But atteint.
L’Angleterre et sa Capitale semblent constituer le cadre idéal pour toute retranscription d’une fin du monde, en effet après les plans sidérants d’un Londres déserté au début de l’apocalyptique « 28 Jours Plus Tard », « Les Fils de l’Homme » nous plonge dans une capitale anglaise en pleine déliquescence, baignant dans le chaos, et il faut reconnaître que ce tableau de fin du monde est magnifiquement bien reproduit, totalement crédible.
Au milieu du désordre qui règne dans les rues londoniennes, des actions explosives d’un mystérieux groupe terroriste, des réfugiés que l’on parque comme des animaux, un homme traîne sa carcasse désabusée et regarde le monde qui l’entoure avec cynisme. Clive Owen incarne parfaitement cet homme brisé à la recherche d’une rédemption et qui va découvrir que peut-être tout n’est pas perdu. Et on peut dire que Cuaron le met à rude épreuve, et soucieux de ne pas créer une distance entre le spectateur et son film le réalisateur nous invite à le suivre de très près dans son périple...
C’est souvent caméra à l’épaule que Cuaron suit son personnage, donnant à son œuvre une valeur quasi documentaire, crédibilisant un peu plus par son approche hyper réaliste l’histoire qu’il nous raconte, nous obligeant presque à courir quand Owen court, à baisser la tête quand Owen baisse la sienne, à avoir un nœud dans la gorge quand il aperçoit le ventre rond d’une femme enceinte, une femme qu’il va décider d’accompagner vers un avenir incertain. C’est là une des forces de ce film, l’implication du spectateur.
Le rythme élevé et les enjeux que nous impose Alfonso Cuaron font rapidement naître une tension qui ne redescend jamais, bien au contraire. Ne soyez pas étonné si vous finissez par sentir comme un nœud au creux de votre estomac.
Au cours de l’échappée de Théo qu’interprète donc magnifiquement Clive Owen et Kee, la future maman, nous croisons le chemin de personnages secondaires forts et aux destins parfois cruels. C’est ainsi que Julianne Moore fait une prestation aussi brève qu’efficace (peut-être aurait-on aimé la voir un peu plus ?), tandis que Michael Caine au look hippie avec ses longs cheveux blancs interprète un personnage un peu fantasque, à la fois drôle et touchant, en un mot essentiel.
Tous ces personnages sont au service d’un récit dont le fond ne se laisse jamais écraser par la forme, et dont la forme parvient cependant à magnifier sa substance. Il faut voir ces plans-séquences absolument stupéfiants qui parsèment le film ! Le réalisateur mexicain, toujours caméra à l’épaule, vous fait vivre une bataille de rue comme si vous y étiez, un Soldat Ryan version citadine, l’assaut d’un immeuble d’une incroyable authenticité (regardez cette caméra tachée de sang qui filme les combats !), et la naissance d’un enfant comme on en a rarement vu (il faut à ce propos saluer l’excellence des effets numériques discrets mais ô combien réussis et efficaces car justement invisibles), et ces dans ces moments là que nous pouvons nous demander si nous regardons un blockbuster ou un film d’auteur. L’exploit de Cuaron c’est de nous faire poser cette question. Il parvient à entraîner grâce à des cadrages bruts de décoffrage le spectateur au milieu de balles qui sifflent, d’obus qui explosent et de murs qui s’écroulent, et nous fait trembler à l’idée qu’au milieu de ce chaos indescriptible l’innocence d’une petite vie est d’une effroyable fragilité, que l’avenir de l’humanité ne tient peut-être qu’à un fil, un fil ténu susceptible d’être coupé à chaque instant…
Le spectateur alterne ainsi entre angoisse, tristesse, sentiment de malaise et émotion pure, le tout est servi par une photographie froide et granuleuse, idéale pour peindre le portrait d’une civilisation qui se rapproche irrémédiablement du gouffre, et une musique mélancolique signée John Tavener, judicieusement choisie.
« Les Fils de l’Homme » est donc un film d’anticipation d’une rare qualité, saisissant, intelligent, intense, marquant, aussi brillant sur le fond que sur la forme, peut-être faut-il remonter au « Soleil Vert » pour trouver un équivalent. Cohérent et crédible de bout en bout, il ne nous libère pas de son emprise une fois le générique de fin terminé, non, il continue au contraire de nous habiter, il marque nos rétines d’images, comme si le film n’avait été qu’une fenêtre ouverte sur une réalité parallèle et pas si éloignée de nous, un miroir qui n’aurait fait que grossir exagérément les travers de notre société et les dangers qui la menacent. Un bijou d’une profonde noirceur, pessimiste mais qui parvient malgré tout à vous faire vibrer au seul son des pleurs d’un enfant que l’on cherche au milieu de toute cette fumée noire. Une œuvre majeure, tout simplement.
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