Réalisé par le grand cinéaste espagnol Luis Buñuel en 1959, à la fin de sa période mexicaine, juste avant le formidable Viridiana (qu’il a tourné en Espagne en 1960), Nazarin est une œuvre étonnamment sobre, surtout de la part d’un des plus importants représentants du surréalisme cinématographique. Le film narre le chemin de croix d’un prêtre véritablement saint, le père Nazarin (incarné magnifiquement par le grand acteur Francisco Rabal), désavoué par l’Eglise pour avoir protégé une prostituée meurtrière. Lors de son errance forcée, il est accompagné de ladite prostituée prénommée Andara, ainsi que d’une belle jeune femme pure et suicidaire délaissée par son amant, Beatriz. Si le ton du film est surprenant de la part de Buñuel, où le cinéaste a opté pour une grande rigueur picturale (chaque plan est un véritable tableau, où la lumière irradie les visages des trois protagonistes susnommés victimes de l’incompréhension de l’Eglise, leur donnant un air de sainteté), Nazarin dénonce avec virulence la dangerosité de la religion, bridant les hommes au lieu de les secourir en leur faisant miroiter un espoir impossible, notamment pour les plus miséreux. Même si le film n’est pas dénué d’humour et de fantaisie (le nain amoureux de la prostituée par exemple, très touchant), le réalisme documentaire de Buñuel rappelle celui de son magistral Los Olvidados, où le cinéaste observe sans complaisance mais aussi sans mépris la pauvreté et la misère. Le père Nazarin, saint parmi les saint, se heurte sans cesse à la terrible réalité contre laquelle la religion, même prêchée par un pur comme lui, ne peut rien. Toutes ses tentatives pour prêcher l’amour divin se retournent progressivement contre lui, isolant de plus en plus le pauvre prêtre et lui démontrant les limites de la religion. Mais Buñuel, anticlérical notoire, n’a cependant jamais de mépris pour Nazarin, et celui-ci, dont le calvaire est aussi vécu par ses deux suiveuses, Andara et l’innocente Beatriz, victimes du cloisonnement de la société, va se révéler de plus en plus humain.
Plus Nazarin est tenté par le péché (le péché de chair par exemple, lorsqu’il embrasse une belle miséreuse malade ; celui de rancune et de vengeance, lorsqu’enfermé à tort dans une prison sale, il est persécuté par certains détenus aussi perdus que lui ; …), plus il s’humanise et s’ouvre aux autres, alors qu’auparavant il semblait sur un petit nuage, indifférent à la misère autour de lui. Constamment entre le sacré et le profane, Nazarin est sans aucun doute une œuvre majeure de Buñuel. Par momenst, le film atteint le dépouillement d’un Dreyer, dans l’incroyable beauté de ses gros plans de visage, d’une pureté absolue, notamment le visage toujours baigné de lumière de la belle martyre Beatriz, amoureuse pécheresse de Nazarin mais véritable sainte, acceptant avec dignité sa condition de victime.
Joyau de la période mexicaine de Buñuel, Nazarin est un film implacable mais non exempt de chaleur humaine, dressant avec rigueur le tableau d’une humanité misérable livrée à elle-même et abandonnée de Dieu, dont le seul espoir de survie se trouve dans la compassion de certaines âmes charitables, non dans une religion rigoriste faussement concernée et seulement préoccupée par sa propagation.
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