Dernière grande réussite du réalisateur italien Dario Argento qui revenait au "giallo" après deux films à connotation fantastique, ce "Ténèbres" bénéficiera d'une intrigue terriblement astucieuse qui se jouera constamment du spectateur au sein d'un genre codifié que le réalisateur connaît bien et qu'il va détourner ici avec une aisance rare.
Le script va suivre l'enquête conjointe d'un inspecteur de police et d'un romancier suite à plusieurs meurtres qui sembleront liés au dernier roman de l'écrivain.
Après une courte introduction qui laissera présager les meurtres tout en créant déjà une certaine ambiance, le métrage va commencer par nous présenter son personnage principal, Peter Neal, un écrivain américain se rendant à Rome afin de promouvoir son dernier roman appelé "Ténèbres" pour déjà amener des éléments étranges forçant le spectateur à se concentrer (la valise), avant de laisser l'intrigue s'attarder quelque peu sur celle qui sera la première victime du tueur, une demoiselle ayant volé un exemplaire de "Ténèbres" qui se fera alpaguer par le vigile du magasin avant de rentrer chez elle où en cours de route elle aura affaire à un clochard libidineux qu'elle repoussera violemment.
Dario Argento arrivera sans mal à créer une tension palpable pour agencer ce premier crime vaguement sanglant puisque la victime sera tailladée au rasoir à main après avoir été étouffée avec des pages du livre volé.
Pendant ce temps-là Neal arrivera à Rome où il sera accueilli par Bullmer, son agent sur place et sa secrétaire, Anne, pour se rendre compte en voulant lui offrir un petit cadeau que son bagage a été saccagé, ce qui ne l'empêchera pas de donner une conférence de presse et de rejoindre l'appartement loué spécialement pour son arrivée. Sur place, ils seront surpris d'y trouver deux inspecteurs de police, Germani et une jeune femme, Altieri qui vont questionner Neal sur le meurtre vu auparavant, dans l'espoir que ce dernier puisse les éclairer, surtout qu'une courte lettre anonyme citant son dernier livre aura été trouvé par terre dans l'appartement, bientôt suivie d'un coup de téléphone de l'assassin.
Le contexte de l'intrigue ainsi posée, le métrage va suivre les agissements de Neal et de son entourage pour encore continuer à placer ici ou là des éléments intrigants dont le spectateur ne saura pas toujours s'ils ont un réel rapport avec le meurtrier, comme cette réminiscence du passé à l'érotisme trouble, et ce jusqu'au second double meurtre qui lui aussi sera remarquablement agencé avec notamment ce plan inoubliable en travelling le long de l'immeuble où habitent les deux victimes.
Ensuite l'intrigue va commencer à resserrer l'étau autour du tueur grâce à une séquence purement cauchemardesque et marquante au cours de laquelle une jeune fille (interprétée par Lara Wendel qui aura quand même bien grandi depuis son rôle dans le déroutant "Maladolescenza") sera longuement poursuivie par un doberman pour finalement trouver refuge dans la maison de l'assassin. Mais au partir de ce moment-là Dario Argento va commencer à détourner les codes du genre en apportant des situations et des éléments qui sortiront du cadre pur du giallo et de son tueur ganté s'attaquant à des personnages qu'il considérera comme anormale ou déviante pour nous offrir une dernière partie remarquable, tordue et roublarde jusqu'au final à tiroirs qui restera longtemps gravé dans la mémoire du spectateur aussi bien par ses trouvailles que par sa débauche d'effets sanglants qui auront marqué l'amateur lors de la découverte du film.
Et en effet le métrage regorgera de passages inoubliables, entre ce travelling déjà évoqué, cette hache plantée dans la tête de l'acteur John Steiner, la course-poursuite avec le doberman suivi d'un meurtre bien méchant, auquel il faudra encore ajouter ce bras coupé à la hache et la victime arrosant littéralement un mur blanc de son sang, le coup du rasoir lors du final et enfin cette sculpture moderne qui aura son rôle à jouer, sans oublier cet érotisme malsain et chargé qui se dégagera de certaines séquences du film.
Mais au-delà de ces fulgurances on pourra aussi saluer l'intrigue globale du métrage qui mènera par le bout du nez le spectateur sur toute la durée du métrage avec son lot de fausses pistes et de retournements de situations jamais anticipables, tandis que le réalisateur s'amusera avec sa propre expérience pour avancer son personnage principal avec qui il entretiendra quelques liens autobiographiques dont il se gaussera quelque peu, tandis que l'auteur quittera les décors baroques de ses précédentes œuvres pour ici afficher une froideur caractérisée par cette blancheur omniprésente qui fera encore mieux ressortir les éclaboussures sanglantes qui vont maculer aussi bien les robes blanches que les murs.
L'interprétation sera particulièrement convaincante, avec un Anthony Franciosa impeccable dans le rôle de Neal et tandis que nous retrouverons avec plaisir une des actrices fétiches du réalisateur, Daria Nicolodi et parmi les seconds rôles un John Saxon savoureux, un John Steiner ambigu ou encore Giuliano Gemma. La mise en scène du réalisateur est également remarquable avec une capacité naturelle à générer un suspense tendu (bien aidé il est vrai par la partition musicale des "Goblin") et à travailler ses plans pour les rendre impactants et diaboliques (comme lors du final lorsque l'inspecteur se baissera). Les effets spéciaux sont globalement probants pour des plans sanglants graphiques et souvent volontaires.
Donc, ce "Ténèbres" pourra aisément être considéré comme l'aboutissement du "giallo" avec une intrigue diablement tordue et dont les méandres demeureront imprévisibles, laissant ainsi de fait le réalisateur surprendre constamment son spectateur tout en lui assenant une violence sanglante crue et un travail esthétique considérable.
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