Un pasteur, Graham Hess (Mel Gibson) vit en compagnie de ses deux enfants, Morgan et sa sœur Bo, et de son frère Merril (Joaquin Phoenix), ancien joueur de base-ball, dans une ferme de Pennsylvanie. Il découvre dans son champ de maïs des figures géométriques parfaitement tracées. Peu après, la télévision annonce que ces mêmes figures se retrouvent un peu partout dans le monde. Bientôt d’autres phénomènes étranges sont répertoriés. Le doute n’est plus permis : loin d’être un canular, ne s’agit-il pas plutôt de l’arrivée d’extra-terrestres ?
Ce nouveau film de M. Night Shyamalan décevra forcément ceux qui attendent un nouveau « Sixième sens » ou un autre « Incassable ». Pourtant on y retrouve ce même talent pour rendre sensible le souvenir des morts chez les vivants et pour proposer un film grand public mais remarquablement construit et mis en scène avec humour, intelligence et sensibilité. Ici, point de coup de théâtre final mais, dès la première image du film, la savante mise en place d’un jeu de piste qui se déroule peu à peu, pas à pas, à travers tout un réseau de « signes » à interpréter pour aboutir à la connaissance et à l’acceptation de soi, étapes indispensables sur le chemin de la sérénité.
Et c’est là le vrai sujet d’un film dans lequel le recours aux extra-terrestres apparaît, paradoxalement, à la fois comme la référence à une filiation cinématographique (« La Guerre des Mondes » et « Les Oiseaux ») et le point de départ d’un propos original (faut-il croire au hasard et aux coïncidences ou bien tout événement, même le plus cruel, a-t-il un sens voulu par la Providence, sens qui peut nous échapper sur le moment mais que l’on comprendra un jour si l’on sait garder espoir ?)
D’emblée, le générique fait naître un sentiment de malaise : les noms des acteurs, du réalisateur, etc. s’inscrivent sur un fond de couleurs désaturées, voire en noir et blanc, tandis qu’une musique (de James Newton Howard) échappée du « Psychose » de Hitchcock (et inspirée de Bernard Herrmann) crée un climat d’inquiétude que renforce un fondu au noir ponctué d’une tonalité grave (cf. la fin du générique de « Psychose ») qui précède immédiatement le film.
Le premier plan du film montre à travers une fenêtre un jardin vide avec balançoire inutilisée. Puis un très lent travelling arrière, qui déforme le paysage (détail crucial) et fait de la fenêtre un écran de TV, se met en mouvement et donne à voir l’intérieur de la maison (une photo de famille heureuse, une pièce vide, une porte) avant de filmer en gros plan le visage angoissé du pasteur brutalement réveillé. Chaque élément de cette très brève séquence est hautement signifiant : l’art du réalisateur est précisément de ne pas dire ce qui est arrivé au pasteur (et qui ne se révèlera que peu à peu car il refuse de l’évoquer) mais de le suggérer visuellement : par exemple, la balançoire inutilisée évoque des enfants sans jeu ni joie, la vitre sépare la maison (vie intérieure du pasteur) de l’extérieur (vie sociale ) et exprime le refus de la vie ; la photo dans une maison silencieuse évoque certes le bonheur mais un bonheur figé dans le passé, etc. Tout l’art du cinéma est d’exprimer par l’image et Shyamalan n’a pas oublié la leçon de Hitchcock.
Malaise devant ce générique austère, malaise devant ce jardin déserté, malaise devant cette maison silencieuse, malaise devant cette souffrance du visage réveillé, la tonalité générale du film est donnée dès l’abord.
Sans déflorer l’histoire, il faut signaler que le mouvement de caméra ci-dessus étudié sera repris à l’identique pour une séquence légèrement modifiée, à la fin du film, et que cette reprise donne tout son sens au propos du réalisateur.
Entre temps, Shyamalan distille très progressivement les raisons de ce climat angoissant et du mal-être du Pasteur et de ses proches. Mais, avec une grande habileté, il fait en sorte de communiquer au spectateur cette angoisse et de lui faire partager les affres de ses personnages. On peut évoquer bien sûr « Les Oiseaux » pour ce qui est du traitement de l’espace dans le film : la caméra installe un champ large qui se referme progressivement (le champ, la ferme, l'intérieur, la cave).
Mais ce malaise sourd aussi de la façon même de filmer. Plusieurs fois c’est en plongée que le regard caméra donne à voir personnages et paysages et cette répétition insistante finit par nous faire « ressentir » quasi physiquement une « présence » qui observerait « d’en haut » cette famille en proie au mal-être.
[ Les dvd paschériens qui ne connaissent pas le film
ne doivent pas lire la suite de la critique]
Le dernier plan du film qui reprend le premier montre, cette fois, le jardin occupé par les enfants et leur oncle. Le même mouvement de travelling arrière traverse la vitre cette fois brisée, donne à voir l’intérieur de la maison sans la photographie mais avec les cicatrices du combat récent pour filmer de nouveau Graham Hess mais il est désormais serein, habillé en pasteur et s’apprête à sortir. Le sens est clair : le personnage a retrouvé la foi (l’habit) et l’envie de vivre (prêt à sortit) ; rien ne s’interpose plus (la vitre est brisée) entre vie intérieure anéantie par la mort de sa femme (symbolisée par la maison) et les autres (symbolisés par le jardin occupé par son frère et les enfants) qu’il peut de nouveau aimer et aider : il a fait son deuil de son passé.
Un beau film profondément original et riche de significations qui multiplie les questions essentielles et donne à réfléchir en conseillant, dans le plus grand respect du spectateur, de savoir lire les « signes » essentiels. M. Night Shyamalan fait désormais partie des réalisateurs qui comptent, lui qui enrichit toujours plus, par l’intelligence et la sensibilité, sa palette pour notre plus grand plaisir.
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