Le film se déroule pendant la guerre civile espagnole dans un orphelinat, Santa Lucia, où est abandonné Carlos par son tuteur, Républicain, qui part combattre les Franquistes dont les troupes s’approchent. Mal accueilli par le plus grand des enfants, Carlos découvre en outre qu’une énorme bombe non explosée est enfoncée dans la cour, qu’un fantôme-enfant, Santi, hante les lieux et que les adultes sont soit protecteurs (la Directrice et le Docteur), soit dangereux (Jacinto).
Guillermo Del Toro propose avec ce film singulier un conte de fée moderne pour les terreurs qu’il fait surgir, teinté d’un fantastique qui n’est pas sans rappeler le surréalisme d’un Bunuel (on songe bien sûr à la Directrice avec sa jambe-prothèse qui évoque la Catherine Deneuve unijambiste de « Tristana »). En puisant dans ses souvenirs personnels (cf. son interview dans les Suppléments), il installe un inquiétant univers glauque où rien n’est jamais sûr ni rassurant.
Cet orphelinat isolé privé de repère spatial (les seuls plans de l’extérieur montrent une étendue désertique et le village le plus proche est, paraît-il, à une journée de marche) et où la notion de temps est incertaine (on sait que les Franquistes se rapprochent sans que l’on sache quand ils seront là) est sous la menace verticale de noirs avions qui le survolent.
Mais ces dangers extérieurs pressentis, annoncés plutôt que réels, qui environnent et dominent l’orphelinat trouvent pourtant une représentation symbolique à l’intérieur même des bâtiments - ce qui les rend plus tangibles - dans la bombe enfoncée au centre de la cour circulaire qui n’a pas explosé mais qui serait toujours « vivante » aux dires des enfants. Par ailleurs, ils sont incarnés (si l’on peut dire !) par Santi, l’enfant-fantôme, qui prophétise sans cesse « de nombreux morts à venir ». Surtout, le sentiment de menace naît d’adultes fragiles dont l’autorité n’est qu’apparente tant ils sont en proie à leurs propres insuffisances (impuissance, vie malheureuse, enfance saccagée) et qui se révèlent peu rassurants par leurs jeux bien plus dangereux que ceux des enfants (goût pour l’or, désirs sexuels, etc.).
Le réalisateur entend montrer par la blessure au front du fantôme-enfant (qui ne cesse symboliquement de saigner) la permanence de la souffrance de toute vie. Et il ne cesse de le rappeler avec un art consommé de la vision en associant vie et mort : on rappellera l’image récurrente de ce bassin plein d’une eau trouble qui peut représenter le liquide amniotique de la vie mais qui sert de refuge au fantôme, donc à la mort ; ou encore ces fœtus, symboles de vie, mais conservés, morts, par le docteur dans ses bocaux. Bref, c’est entre vie pré-natale et mort que se déroule inéluctablement un film multipliant visions surréalistes et fantastiques dans un foisonnement d’images surprenantes et insolites, belles et cruelles, mais toujours magnifiquement filmées. Une réussite !
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