Il faut préciser tout de suite que ce film de Brett Ratner se situe, chronologiquement dans l’histoire d’Hannibal Lecter, avant « Le Silence des agneaux ». Il est, d’autre part, la nouvelle version du film, « Manhunter », que réalisa Michael Mann en 1986 d’après le roman de Thomas Harris. On reviendra, en conclusion de cette analyse, sur une brève comparaison entre ces deux versions d’un même roman. Mais l'on ne peut que conseiller ce "Dragon rouge" pour ses différentes qualités : c'est une bonne surprise, surtout compte tenu de la qualité du film qu'il "refait".
Le premier atout de « Dragon rouge » est, à l’évidence, une distribution d’acteurs d’une rare qualité : Anthony Hopkins, de nouveau saisissant en Hannibal ; Edward Norton, impressionnant de fragilité et de détermination dans un rôle proche de celui de Jodie Forster (« Le Silence des agneaux ») ; Harvey Keitel sobre dans le rôle du chef Jack Crawford ; Ralph Fiennes hallucinant psychopathe ; Philip Seymour Hoffman, enfin, qui campe magistralement un journaliste de la presse à scandales.
Une réalisation spectaculaire à souhait et très efficace constitue l’autre point fort d’un film qui multiplie les scènes chocs. On mentionnera, à titre d’exemple, la séquence initiale du repas donné en l’honneur de convives triés sur le volet et ce qui s’ensuit. Ou encore la visite de la maison où sont commis les premiers assassinats du psychopathe, Francis Dolarhyde (Ralph Heynes) se fait selon le procédé de la caméra subjective, ce qui a pour effet de dramatiser la scène. Il en est de même pour l’interrogatoire du journaliste par Dolarhyde qui constitue un sommet de la tension et de l’insupportable. Le film joue d’ailleurs sur le contraste entre l’atmosphère de calme, d’extrême courtoisie, et la sauvagerie barbare qui signe chaque agression : l’apparence policée est constamment démentie par l’irruption soudaine de la réalité. Le climat du film est donc, en permanence, plombé par une menace diffuse - ou explicite - et le suspens ne cesse d’alourdir l’atmosphère et de plonger le spectateur, comme pour tout bon thriller, dans une situation inconfortable.
Cette mise en scène de la folie meurtrière est souvent violemment expressive, comme on vient de le montrer, mais elle emprunte également, à l’inverse, des chemins plus feutrés qui privilégient la suggestion, l’implicite ou le non-dit ; ce qui donne au propos du film une force d’autant plus convaincante qu’elle laisse au spectateur découvrir lui-même l’horreur. On songe à la séquence initiale déjà évoquée, et à sa suite immédiate lorsque l’enquêteur Will Graham (E. Norton) découvre par hasard la vérité en même temps que le spectateur, ce qui a pour effet une identification totale de celui-ci au personnage et ce au moment même où il est mis en danger.
Le réalisateur, on l’aura compris, joue sur l’effet de fascination du spectateur pour les deux psychopathes, Hannibal et Dolarhyde . Une fascination perverse qui joue sur les sentiments contradictoires et simultanées de l’attirance et de la répulsion : le film stimule la curiosité plus ou moins malsaine pour mieux susciter ensuite le rejet par le dégoût.
Enfin, le troisième intérêt du film est de compléter l’histoire d’Hannibal Lecter en tenant compte des précédents « Le Silence des agneaux » et « Hannibal ». Au premier, il emprunte le même décor de la prison, les mêmes acteurs (Hopkins-Hannibal et Anthony Heald-Dr Chilton) et l’enquêteur Will Graham a certains points communs – hésitation et détermination - avec Clarice Starling (Jodie Foster). Il est donc désormais possible d’enchaîner les trois films sans perdre en cohérence, ainsi guidé par des éléments communs aux trois réalisations.
Pour ce qui est de comparer, brièvement, « Dragon rouge » et « Manhunter », il apparaît que si « Dragon rouge » insiste sur le spectaculaire, « Manhunter » propose une étude plus fouillée de la psychologie des personnages et une réflexion poussée sur la frontière entre le Bien et le Mal. Il va de soi qu’il est vivement conseillé de voir – et revoir – le film de Mann qui ressort, en ce moment même, en DVD dans une réédition de meilleure qualité que la version que l’on trouvait jusque-là en zone 2.
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