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Chef-d’oeuvre d’ambiguïté et de malaise, ce film de Polanski réalisé en 1968 mêle habilement réalisme et fantastique, de sorte que le spectateur adhère, dans un premier temps, à l’histoire banale de ce jeune couple qui s’installe dans un appartement, tout en se demandant, ensuite, si les visions de Rosemary (Mia Farrow) ne sont que de simples cauchemars caractéristiques des obsessions des jeunes mères ou s’il y a, plus grave, réel péril en la demeure…
Le décor, déjà, est parfaitement choisi : cet appartement de style rococo 1930, sombre, hanté par le souvenir du suicide de la précédente locataire, est-il seulement insolite ou bien est-il « le signe » d’une présence inquiétante ? De même, ces voisins si prévenants mais envahissants, sont-ils d’inoffensives personnes âgées ou les membres calculateurs et déterminés d’une secte satanique ? S’agit-il – lorsque les signes se multiplient – du délire d’une femme enceinte dont la grossesse est difficile ou d’un complot domestique savamment organisé ? Ce berceau voilé de noir est-il le reflet de la folie de Rosemary ou l’indicible vérité ?
Bref, tout l’art de Polanski est de nous maintenir constamment sur le fil qui sépare réalité et fantastique en multipliant des « signes » qui peuvent s’interpréter, toujours, à un double niveau.
A l’évidence, le réalisateur propose une satire virulente de la religion et, notamment, du dogme catholique de l’Immaculée Conception. Il faut bien constater que le prénom Rose-Mary évoque Marie, la mère du Christ, et que, d’autre part, si Rose-Mary est elle aussi enceinte, c’est – apparemment – de Lucifer et non de Dieu ! Par ailleurs, il raille, avec férocité, l’attente d’un enfant, toujours pleine de bons sentiments pour un couple, en offrant l’image cynique d’un père qui « vend » son futur bébé contre l’assurance d’un succès professionnel. C’est donc à une double transgression des valeurs sociales américaines fondamentales que se livre Polanski dans ce film (au contraire de son « La neuvième Porte », bon film sur l’ésotérisme et le satanisme, certes, mais sans la moindre portée critique sociale ou humaine).
Il faut, enfin, souligner que ce récit aux confins du réalisme et du fantastique est conduit de main de maître : si les jalons de l’ambiguïté sont posés dès l’ouverture du film, Polanski ménage un crescendo qui enferme progressivement le spectateur dans une fascination dont il sort envoûté et choqué. D’autant plus que les acteurs –une Mia Farrow enlaidie, amaigrie, déformée par sa grossesse, titubante, transpirante dans l’étuve de New York ; un John Cassavetes inquiétant d’ambiguïté ; ou le vieux couple diabolique – sont tous extraordinairement convaincants.
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(9.5/10) 
