Le récit que propose Claude Chabrol met en rapport, par l’intermédiaire du personnage de Tante Line (Suzanne Flon), le passé mystérieux (un crime s’est déroulé à la Libération) et le présent incertain (mère candidate politique, père insignifiant coureur de jupons, enfants « incestueux ») d’une famille bourgeoise de Bordeaux.
Le titre choisi s’inspire du recueil de Baudelaire, « Les Fleurs du Mal », mais, mis au singulier, désigne explicitement le sexe féminin comme l’origine des problèmes humains – au double sens du terme que donne Courbet à son tableau, « L’origine du monde », représentant précisément le sexe féminin. Le film de Chabrol peut s’apparenter à une psychanalyse de l’âme humaine dont les abysses traversent, à l’identique, les générations. On pourrait même ajouter que si la « grande » Histoire ne se répète pas, celle des individus est un éternel recommencement… Le drame enfoui de Tante Lise se trouve, en effet, exhumé au cours d’une campagne électorale menée par la mère Anne (Nathalie Baye), et les jeunes gens, François (Benoît Magimel) et Michèle (Mélanie Doutey), vont revivre, peu ou prou, la même expérience. Pour Chabrol, l’Innocence (longuement développée dans les dialogues entre François et Michèle) contient la graine d’un Mal - et du sentiment de culpabilité qui s’ensuit – qui va germer en fleur vénéneuse.
Une fois de plus, serait-on tenté de dire, Chabrol explore le monde trouble de la psyché : le Bien et le Mal et les sentiments d’innocence et de culpabilité parcourent une œuvre inscrite dans le terreau de la réalité sociale. « La Fleur du Mal » nous propose l’essentiel de son univers. D’emblée, un travelling avant sous une végétation de fourrés se glisse silencieusement dans une maison, monte un escalier et entre dans une chambre où gît un cadavre qui a l’ « exquise » bonne idée de désigner le drap de sa main ensanglantée. Le drap, c’est-à-dire le lit, généralement lieu des rapports sexuels. L’ascension de la caméra pouvant s’apparenter à une érection. C’est l’image qui doit « dire » rappelait Hitchcock… Ce mouvement de caméra très chabrolien annonce, à l’évidence, une « exploration » des zones dissimulées (fourrés qui cachent, chambre qui abrite l’intimité) de l’être humain. Il peut avoir un autre sens : le réalisateur nous guide ainsi dans son univers : la province des notables sur fond de rivalités politiques (Cf. « Les Noces rouges ») ; le sud ouest (« Le Boucher ») ; les rapports oedipiens entre parents et enfants (« La Décade prodigieuse ») ; la confusion entre le Bien et le Mal par leur contamination réciproque (« Que la bête meure ») sans oublier, en une sorte de rappel ironique et distancié bien dans sa manière, les scènes de repas (il nous offre même, sarcastique, quelques gros plans sur les plats !) et les commentaires sur la bonne chère ou sur les vins. On y trouve même une pharmacie qui rappelle, biographiquement, celle des parents de Chabrol. Il s’agit bien d’un condensé des thèmes profonds de son œuvre.
Chabrol prend son temps pour nous faire entrer dans son récit, puis pour nous perdre dans le dédale de l’âme humaine avant de nous demander, dans la scène ultime et à travers ses personnages, de faire bonne figure et de sauver les apparences. Car, « Chez ces gens-là, Monsieur ! » pourrait-on dire en citant Brel… On ne peut manquer d’évoquer la visite de la candidate politique, Anne, dans la cité des « gens d’en-bas » et de ses incroyables propos si « gens d’en-haut ». Pour être juste, il faut bien reconnaître que le discours des électeurs modestes à qui elle rend visite est tout aussi calamiteux. Chabrol a conservé intacte son ironie mordante.
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