Ce film attendu, enfin présenté dans une belle édition DVD, réunit avec bonheur les talents conjugués de Richard Lester (« Help ! », 1965, avec les mêmes Beatles, et « Superman II et III », 1980 et 1983) et des Beatles, alors au début d’une gloire qui allait se répandre sur la planète entière.
En 1964, Richard Lester, cinéaste iconoclaste auteur alors de deux films, apporte au film son goût pour l’absurde (le nonsense anglais), l’onirisme, l’éclatement de l’action, du rythme, des sons et son refus des adultes grincheux, hypocrites et pontifiants ; bref, il prône un cinéma de l’irrévérence et de l’insouciance. De leur côté, John Lennon, Ringo Starr, George Harrisson et Paul McCartney revendiquent un naturel qui s’exprime dans leur musique : jeunesse et énergie du rock’n’roll, esprit potache, désinvolte et fantaisiste. La rencontre entre Lester et les Beatles ne pouvait que déboucher sur la réussite d’une comédie musicale d’un nouveau genre, à la fantaisie la plus débridée.
La situation initiale du récit est des plus simples : les « quatre fabuleux » de Liverpool prennent le train pour se rendre à un concert. Mais leur « voyage » va s’agrémenter de rencontres et d’événements imprévus, qu’il s’agisse d’interviews farfelues, de séances avec des groupies déchaînées et de séquences d’hôtel qui semblent tout droit sorties d’un film de Mack Sennett par leur côté burlesque. Bref, le délire s’empare du film et devient contagieux : rythme endiablé, gags, jeux sur les mots, montrent un débord de vitalité des plus réjouissants, d’autant plus que la musique et les chansons sont omniprésentes.
Pourtant, la promenade solitaire de Ringo dans le terrain vague, les rides qui apparaissent sur le visage de deux des Beatles et la chanson nostalgique (« I should have known better ») introduisent comme une discontinuité et une fêlure, synonymes de mélancolie et de sentiment de précarité qui révèlent que le film n’est pas seulement insouciant. En effet, dès l’ouverture du film, on s’aperçoit que les adultes imposent leur présence, leur esprit de sérieux aux quatre garçons, qu’il s’agisse des imprésarios (dont ils dépendent) ou du réalisateur TV (qui les dirige). Plus généralement, Lester insiste sur l’idée que ce monde a été fait par les adultes et pour les adultes, de sorte qu’il ne reste plus aux jeunes qu’à échapper à cet univers contraignant par le rêve et l’insolence.
Il ne faut pas oublier, aujourd’hui, que le succès des Beatles a été un mouvement populaire qui remettait en cause les valeurs traditionnelles chères aux Anglais d’alors et opérait, du moins chez les jeunes, un certain brassage social. « Vous, les pauvres du balcon, tapez dans vos mains ; et vous, les aristocrates de l’orchestre, secouez vos bijoux ! » ironisait John Lennon, en une apostrophe restée célèbre, lors d’un concert huppé. C’est ainsi que, d’emblée, le film ridiculise le lord-maire de Liverpool, puis, plus tard, l’ambassadeur des Etats-Unis. Les institutions officielles connaissent le même sort (davantage encore dans « Help ! », leur film suivant).
L’arme principale de Lester – le rire – est mise au service de nos quatre Beatles qui, de leur côté, grâce à leurs rocks (« Long tall Sally », « Matchbox », etc.), dynamitent un monde sclérosé. Quelques années plus tard, les secousses déclenchées par l’impatience de la jeunesse allaient ébranler nos sociétés…
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