Le choix de J.J. Annaud de montrer la bataille de Stalingrad au travers du duel de deux snipers ( un allemand et un russe ) peut surprendre. D'aucuns prétendront que c'est voir la guerre par le petit bout de la lorgnette. Et pourtant. Le choix d'Annaud est le bon. En effet, la bataille de Stalingrad, ce fut d'abord cela : une phénoménale partie de cache-cache, et l'heure de gloire des snipers. Telle est la vérité, éssentielle, que nous rapelle Jean-Jacques Annaud.
En outre, par ce choix si resseré, notre grand cinéaste échappe aux deux figures récurrentes du film de guerre :
- Les vagues d'assauts à répétition, feux d'artifices mortuaires et vites lassants.
- Les tribulations d'une compagnie d'hommes, décimés avec une régularité de métronome mais censé nous familiariser avec l'horreur.
De fait, substituant à une pyrotechnie tape-à-l'oeil la scénagraphie plus minutieuse d'un duel à distance, Annaud redonne tout son relief à un décor de guerre à nul autre pareil. Usines dévastées, maisons écroulées, gravats amoncelés... autant d'élements propres aux leurres et aux camouflages où le film, usant de la caméra comme d'un viseur, crée le suspense et trouve son assise.
Il restitut superbement le rythme d'un siège interminable, une alternance de silences de pauses et d'éclats fulgurants, qui punissaient de mort les moins endurants.
Pour toutes ces raisons, " Stalingrad" relève autant du film de guerre que du western. Toutefois le film d'Annaud va bien au-delà du " réglement de comptes à Stalingrad". Il propose aussi une décapante reflexion sur cette énorme machine à fabriquer les héros qu'est la guerre. Car au plus fort de la bataille, le commandement soviétique comprit vite que fusiller les traîtres n'était pas la panacée, et que, dans " une guerre patriotique", la propagande se devait d'offrir au peuple des modèles à admirer. Au pays du Stakhanovisme le sniper devint alors la figure toute trouvée d'une autre forme de compétition socialiste : l'acharnement patriotique.
Mais " Stalingrad" et c'est aussi son interêt, déconstruit la propagande. En confrontant les faits avec la légende, le film d'Annaud décortique la propagande et dégonfle l'héroisme. Ce n'est pas l'antagonisme idéologique qui prime chez le cinéaste, mais la pulsion du combat, l'affrontement primitif quasi fratricide. Car certaines scènes le suggèrent aiséments : rien ne ressemble plus à un sniper de l'Armée rouge qu'un sniper de la Wehrmacht.
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